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Découvrir le vivant, les yeux fermés

S'émerveiller
Découvrir le vivant, les yeux fermés
Alban Leduc
9/1/2024

Entre ASMR nature et études scientifiques, l’écoute de la biodiversité n’a jamais été aussi développée. À quoi cela ressemble et par où commencer ? Deux jeunes bioacousticiens nous aident à faire les premiers pas.

Mars 2020, les rues sont vides. Plus de voitures, ni de métros mais des bruits de la nature qu’on avait presque oublié. Un cri d’oiseau sur le toit d’en face, le bruissement d’un petit mammifère dans un arbuste ou même le vent qui traverse les feuilles d’un arbre.

Avec le confinement et la diminution des bruits d’origine humaine, nous avons appris à mieux écouter notre environnement, à se rendre compte de notre méconnaissance vis à vis de ces sons presque toujours camouflés. Même en plein cœur des Vosges, le silence n'existe qu'entre deux avions toutes les sept minutes, rappelle le naturaliste Marc Namblard, dans un documentaire sur les sons de la forêt.

La bioacoustique passe le mur du son

Alors depuis cette période, la bioacoustique est en plein boom. La discipline scientifique qui étudie les écosystèmes à travers le son se structure et se déploie auprès du grand public. Il y a trois ans la première formation uniquement dédiée à l’observation acoustique du vivant a ouvert à Saint-Étienne. Et cet été, les Jeunes BioAcousticien·nes ont tenu leurs premières rencontres.

“De plus en plus de bureaux d’études, d’associations ou de porteurs de projets font appel à nous pour mesurer les impacts d’un projet ou l’efficacité d’une zone protégée”, explique Gabriel Dubus, un des organisateurs de ces Journées des Jeunes BioAcousticien·nes.

Plus facile, en effet, de poser un micro pendant des mois voire des années pour observer un écosystème que d’effectuer régulièrement des relevés. “C’est une méthode non-invasive, cela retire le biais de la présence humaine”, détaille Virgile Daunay, également jeune bio acousticien.

En plus d’être moins impactant pour les espèces, les enregistrements sonores de la nature pourraient être bénéfiques pour la santé humaine. Une étude canadienne a notamment montré en 2021 qu’écouter des sons naturels réduirait le stress, la sensibilité à la douleur et aurait un effet positif sur notre humeur et nos performances cognitives. Le grand public s’empare donc de plus en plus des enregistrements de la nature, notamment via l’ASMR qui désigne la sensation de bien-être provoquée par certains stimulus auditifs.

“Les exposition et spectacles à l’intention du grand public se multiplient et nous réfléchissons aussi à intégrer un temps ouvert à tous lors de notre prochaine rencontre”, confirme Gabriel Dubus, qui y voit aussi une sensibilisation accrue du public au sujet de la biodiversité. En 2022, une exposition intitulée Musicanimale, le grand bestiaire sonore s’est ainsi tenue à la Philharmonie de Paris en partenariat avec le Muséum national d’histoire naturelle de Paris (MNHN). Celle-ci a mis un grand coup de projecteur sur la bio-acoustique et permettait de découvrir les sons d’une quarantaine d’espèces animales. 150 œuvres et objets d’art étaient également présentés afin de montrer combien les sons du vivant inspirent les artistes.

L’acoustique pour prendre le pouls du vivant

Avec la disparition d’espèces et d’écosystèmes, l’enregistrement sonore des milieux se fait de plus en plus pressant. Il s’agit à la fois d’analyser la crise du vivant pour la comprendre, mais aussi d’archiver des sons qui risquent de disparaître. C’est tout l’enjeu de l’éco-acoustique. Née il y a environ une dizaine d’années, cette discipline dérivée de la bioacoustique effectue un changement de focale par rapport à cette dernière. Les scientifiques ne s’intéressent plus uniquement aux “animaux solistes”, désormais “ils captent l’orchestre, c’est-à-dire tous les sons émergeant d’un paysage naturel – une forêt, une rivière, un océan” précise Jérôme Sueur, maître de conférences au Muséum national d’histoire naturelle de Paris (MNHN), dans un article publié sur The Conversation.

L’étude de ces paysages sonores permet ainsi d’évaluer l’état de santé du vivant et de mesurer l’évolution de la biodiversité. Et bien souvent, quand il y a moins de sons, ça ne sent pas bon. En prenant le problème à l’envers, des scientifiques ont alors réussi à améliorer la présence et la diversité de poissons en diffusant des enregistrements sonores de récifs coralliens sains à proximité de coraux morts, au sein de la Grande Barrière de corail australienne. Un petit pas pour la restauration des écosystèmes, mais une belle découverte pour les possibilités d’“enrichissement acoustique”.

C’est d’ailleurs ironiquement grâce à l’avancée de la technologie (responsable d’une partie de la disparition du vivant) que nous pouvons réaliser ce travail de suivi et de protection de la biodiversité. Sans l’intelligence artificielle, impossible par exemple d’analyser des milliers heures d’enregistrement. Sans les plateformes en ligne accessibles à tous, difficile de monter des programmes de sciences participatives qui permettent à des internautes du monde entier d’aider les scientifiques dans leur travail.

Moyen de sensibilisation et de participation à la recherche, ces outils sont également des moyens de s’émerveiller de la nature. Voici ainsi nos meilleures ressources pour se lancer dans l’écoute de la nature. À vos casques !

Le Grand orchestre des animaux

À la croisée de la musique et de l’écologie, découvrez l’œuvre singulière de Bernie Krause. Musicien de formation, cet américain passionné par l’écoute du vivant a recueilli près de 5 000 heures d’enregistrements sonores au cours de sa carrière. En 2016, la Fondation Cartier pour l’art contemporain lui consacre une exposition, adaptée depuis sur un site internet interactif :  “Le Grand orchestre des animaux”. On y découvre une sélection de paysages sonores terrestres d’Amérique et d’Afrique ainsi que de paysages sonores marins de l’Océan Pacifique accompagnés par des textes du célèbre bioacousticien.

Une carte sonore de la forêt

Vous êtes plutôt lémuriens de Madagascar ou rossignols de Slovaquie ? Avec Sounds of the Forest, il est possible de s’immerger dans l’environnement sonore de centaines de forêts à travers le monde et d’en apprendre plus sur les espèces qui les peuplent. Sous la forme d’une carte participative, les organisateurs britanniques du Timber festival recensent les enregistrements sonores des internautes du monde entier. Il est en retour possible de partager l’enregistrement de votre forêt préférée à partir du dictaphone et de l’appareil photo d’un simple téléphone.

La musique des grands fonds

Pas facile de se rendre compte de l’univers sonore d’un écosystème sous-marin. Pour partir à sa découverte et en apprendre un rayon sur le monde vivant de l’océan, la plateforme “Discovery of the sound in the sea” répertorie de nombreuses signatures d’espèces. Fréquence, description et photographie, tout est mis à disposition pour partir en exploration.

La sonothèque du vivant

Près de 28 000 ambiances et sons d’espèces différents. Le Muséum National d'Histoire naturelle compile l’une des plus grandes bases de données sonores de la biodiversité. Du tonnerre, à la grenouille, en passant par la sauterelle : il y en a pour tous les goûts. Véritables instantanées des écosystèmes, ces enregistrement sont aussi de précieux témoignages des interactions entre espèces.

On vous conseille le son de la Corneille noire orientale, notre préféré !