“J’ai vraiment le désir de transmettre des clés pour être plus lucide sur le monde"
Aux travers d’entretiens portraits, découvrirez les 1001 manières de concilier votre métier avec la préservation de la biodiversité. Dans cette interview, découvrez le profil de Théo Tzélépoglou, Écologue, Journaliste scientifique et photographe.
De la biologie à la photographie, pourrais-tu revenir sur ton parcours ?
J'ai toujours été passionné par la nature et la musique. J’ai été bercé et façonné par les deux. Je ne viens pas d’une famille de naturaliste mais à 15 ans, je lisais National Geographic, et au lycée, on me considérait vraiment comme l’écolo. À l’époque, on parlait très peu des problématiques liées à l’écologie dans les médias comme dans la société.
À la fin du lycée, j’ai choisi d’étudier la biologie et l’écologie à l’université. J’avais besoin d’un cadre assez libre pour apprendre et continuer à faire de la musique. Même si c'étaient des études un peu trop théoriques parfois, j’ai adoré la richesse qu’offre la fac tant sur le plan des rencontres humaines que les connaissances que j’ai pu acquérir. Je ne le savais pas à l’époque, mais ce bagage théorique est aujourd’hui un atout dans mon métier de journaliste scientifique.
J’ai rapidement identifié que je voulais continuer en master d’ingénierie en écologie et gestion de la biodiversité, à Montpellier. Ça a été le début de la passion. J'ai pu réellement me professionnaliser en rencontrant des scientifiques d’horizons différents, des naturalistes et des photographes. J’ai acheté un appareil photo et j’ai commencé à pratiquer tous les week-ends.
Et en fin de mes études, j’ai été approché par un bureau d’études qui m’a proposé un poste de chargé d’études faunes aux Antilles. Ca a été une belle aventure, mais deux ans après je suis rentré à Toulouse et j’ai voulu faire autre chose. Le métier manquait de poésie et d’expression artistique à mon goût. Sans parler de la dissonance cognitive entre mon souhait de protéger la biodiversité et le système réglementaire dysfonctionnel de protection de la nature.
Et finalement, tu t’es tourné vers le journalisme ?
En revenant des Antilles, j’ai vu que le magazine L’oiseau mag de la LPO avait une page dédiée aux départements d’Outre-mer (DOM). Comme j’en revenais tout juste je connaissais bien le territoire, sa biodiversité et ses problématiques, j’ai envoyé un portfolio. Ils m’ont proposé d’écrire quatre pages. J’ai proposé un texte qui a été accepté sans retouches, ce qui m’a étonné, mais aussi encouragé. J’ai par la suite pu rencontrer Denis Cheissoux, journaliste à France inter, qui m’a aussi poussé à me lancer dans cette voie.
“À la Salamandre, il y a vraiment une envie de faire aimer la nature qui me parle… On essaie de faire encore rêver dans un monde qui s’effondre. C’est important.”
Pendant la pandémie, j’ai passé le concours de l’école de journalisme de Lille. Une fois déconfiné, je suis donc allé apprendre le journalisme dans le Nord…j’ai réalisé par la suite des stages à Paris, à Reporterre, le quotidien de l’écologie, Sciences et Avenir et aussi au CNRS. Ça m’a beaucoup plu intellectuellement, mais le rythme effréné du quotidien était trop intense pour moi. Sans parler de la vie parisienne, un peu loin d’une nature préservée !
J’ai quitté Paris et je suis retourné à Montpellier, pour retrouver mon réseau dans le domaine de l’écologie. Ça m’a aidé pour écrire d’autres articles dans d’autres médias en tant que pigiste. J’ai également commencé à enseigner l’éducation aux médias. J’ai vraiment le désir de transmettre des clés pour être plus lucide sur le monde et comment être plus critique face aux informations qu’on nous transmet. J’ai aussi pu animer des conférences au salon de l’écologie. Je suis désormais journaliste pour la revue la Salamandre. Je m’y plais beaucoup, c’est un endroit bienveillant qui m’offre beaucoup de liberté pour écrire sur des sujets journalistiques, ou avec une plume poétique. Je peux aussi y publier des photos. Ce genre de média est devenu très rare aujourd’hui.
As-tu le sentiment d’être utile ?
J’ai toujours eu cette envie de faire bouger les choses. Mais j’ai surtout un feu qui me pousse à ne pas abandonner face aux questions du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Je ne peux pas fermer les yeux d’autant plus que je suis un peu plus renseigné chaque jour ! J’ai envie de transmettre ce que je sais de la manière la plus variée possible sans être moralisateur ou culpabilisant. Avec le temps, je vois que ces sujets peuvent être angoissants pour les gens. A la Salamandre, il y a vraiment une envie de faire aimer la nature. On propose de beaux textes, dessins et photos. On essaie de donner du plaisir aux gens, plutôt que proposer une actualité rude et frontale. On essaie de faire encore rêver dans un monde qui s’effondre. Nous parlons quand même des grands enjeux planétaires, mais on essaie de trouver des angles qui proposent des solutions.
Est-ce que tu sens des freins à tes actions ?
La Salamandre touche un public convaincu et érudit donc ça, c’est un frein. Je ne touche pas les climato-sceptiques et les dirigeants de TotalEnergies… Les activistes font du meilleur travail sur ce terrain. Heureusement qu’ils sont là !
“Liez-vous aux gens qui vous inspirent !”
Un autre frein vient de la quantité d’informations qui nous abreuvent. Chaque jour, un article en chasse un autre. Même dans l’enseignement, sur une classe de 20, il y en aura que très peu à qui mon discours profite vraiment. Mais ça me dérange de moins en moins. J’ai réalisé avec le temps qu’il ne faut pas se placer en sauveur du monde. Il faut juste donner ce qui est possible du mieux qu’on peut. C’est tout. Et réussir à se détacher de ce qui angoisse pour se concentrer sur le fait de vivre parfois pour soi, même si ce n’est pas toujours évident et que cela peut paraître paradoxal. C’est un peu la clé pour ne pas sombrer dans l’éco-anxiété. S’accorder des sas de décompression et de légèreté.
Un conseil, un apprentissage ou une anecdote à partager ?
Pour moi, ce qui fait tenir dans un monde incertain, c’est la nature bien sûr, mais aussi les rencontres et l’art. C’est ça qui fait le sel de la vie ! J’adore mon boulot et je n’arrive pas à ne pas mettre du cœur et de l’affect dans tout ce que je fais et dans mes relations avec les autres. Liez-vous aux gens qui vous inspirent, et faites ce qui vous plaît vraiment. Combien d’ingénieurs sont devenus artistes, boulangers, etc., après avoir pris conscience qu’on n'a qu’une vie et qu’il faut essayer de faire ce que notre cœur nous dit. Je ne suis pas sûr que les gens qui poussent les autres à réussir une carrière soient vraiment heureux et participent à rendre le monde meilleur. Alors entretenons des relations saines et bienveillantes avec les gens, c’est le plus cadeau qu’on puisse se faire, je crois.