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La loi sur la restauration de la nature est-elle vraiment une victoire pour la biodiversité ?

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La loi sur la restauration de la nature est-elle vraiment une victoire pour la biodiversité ?
La Corneille
13/3/2024

“Victoire historique”. L’adoption du règlement européen sur la restauration de la nature le 27 février a été célébrée tambours battants par de nombreux médias et ONG. Victime du contexte autour de la crise agricole et des demandes de pauses environnementales de la part des politiques en Europe, le texte a pourtant été largement allégé. Retour sur l’histoire d’un projet européen consensuel devenu bouc-émissaire.

Tout avait bien commencé à l’été 2022, lorsque dans l’élan du Green Deal, l’Europe se penche sur l’examen d’une loi ambitieuse pour la conservation de la nature. “Jalon historique” pour WWF France, “le texte le plus ambitieux pour la biodiversité depuis trente ans” selon France Nature Environnement et qui “prépare le terrain pour faire de l’UE un leader des négociations internationales sur la biodiversité”, selon l’UICN. À moins de six mois de la clôture de la COP15 sur la biodiversité à Montréal, le texte fait l’unanimité.

À ce stade, l’initiative est désignée sous le nom de “règlements européens sur la biodiversité et les pesticides”. Et c’est peut-être ça le plus gros problème.

Anatomie d’une chute

Pour les eurodéputés conservateurs, la proposition d’interdire l’usage de pesticides sur certaines surfaces agricoles protégées est un “no-go”. Le parti européen de droite, le PPE, lance alors une intense campagne pour tenter de montrer qu’avec ce projet de loi biodiversité, des villages centenaires seraient détruits au profit de la création de zones humides ou encore que 10 % de terres agricoles devraient être abandonnées. Majoritaire au Parlement européen, il réclame “un moratoire”, s'alarmant d'un impact trop lourd pour les agriculteurs et de “menaces” pour la sécurité alimentaire.

Les autres partis se voient obligés de prendre position. Les centristes de Renew qui proposaient plus tôt d’aller encore plus loin dans les objectifs de conservation se déchirent désormais sur la marche à suivre. En mai 2023, Emmanuel Macron reprend même le vocable conservateur, en appelant à "une pause réglementaire européenne” dans le domaine de l’environnement.

Au moment du vote, la tension est donc maximale. Le texte évite à une voix près le rejet en commission parlementaire mi-juin (42 voix pour, 42 contre et dans ce cas égalité vaut confirmation), mais ne survit finalement pas quelques jours plus tard lorsque la majorité absolue est requise. Ce sera donc une nouvelle proposition, largement édulcorée qui sera adoptée en juillet par le Parlement européen à quelques voix près.

Après un accord trouvé en trilogue avec les autres institutions européennes, le texte est pourtant une nouvelle fois examiné par les eurodéputés en février. “Une pratique dangereuse”, pour l'eurodéputé français Renew Pascal Canfin, président de la commission Environnement. Entre-temps, la colère des agriculteurs et le lancement de la campagne pour les élections européennes tendent les positions.

Résultat, la droite européenne a réussi à obtenir le report d’un texte sur les pesticides et surfe sur la vague de mécontentements pour s’allier avec l’extrême droite. D’une formalité, l’adoption définitive du texte se déroule dans la douleur. Après des heures de débat et des mois de négociation, la “loi” sur la restauration de la nature est définitivement approuvée par le Parlement européen, le mardi 27 février 2024.

Un texte édulcoré

Durant ce parcours législatif tendu, le règlement sur la restauration de la nature a laissé quelques plumes. Signe d’une certaine unanimité au départ, des grandes firmes internationales comme Nestlé, IKEA, H&M ou encore Coca-Cola avaient même appelé à soutenir son adoption.

À l’arrivée, de nombreux éléments ont pourtant disparu de l’équation. Maintes fois discuté, l’objectif de porter à 30 % la part des zones terrestres et marines restaurées d’ici à 2030 est, par exemple, absent du texte final. L’Union européenne s’était pourtant engagée à le respecter en signant l’accord Kunming-Montréal, en décembre 2022 lors de la COP15 biodiversité. Une occasion manquée d’inscrire enfin cet engagement dans la loi.

Les européens se fixent uniquement pour ambition de restaurer “au moins 20 % des zones terrestres et au moins 20 % des zones marines d'ici à 2030, et l'ensemble des écosystèmes ayant besoin d'être restaurés d'ici à 2050”. Mais pour atteindre cette cible, la priorité est donnée aux sites Natura 2000, déjà protégés. Un “exemple de sous-transposition” pour le juriste spécialisé en environnement Arnaud Gossement. “On ne renvoie pas vers un objectif quantitatif direct et il vaudrait mieux viser les espaces qui ne sont pas déjà considérés comme “naturels” aujourd’hui.”

Pour y parvenir, l’UE envisage tout de même de restaurer au moins 25 000 km de cours d’eau à courant libre, de planter trois milliards d’arbres, en s’assurant des bienfaits de cette action pour la biodiversité, via l'indice des oiseaux communs des milieux forestiers. Reprenant les objectifs français de zéro artificialisation nette, l’Europe invite les États membres à “veiller à éviter toute perte nette de la superficie nationale totale des espaces verts urbains et du couvert arboré urbain d’ici à 2030”.

Des papillons pour l’agriculture

Parmi les débats intenses sur la conservation de la nature, c’est l’agriculture qui a le plus électrisé les différents partis. Au final, la mention des pesticides - pourtant reconnus comme une des causes majeures de l’effondrement de la biodiversité - a quasiment disparu du texte adopté. Celui-ci se réfère seulement aux objectifs du règlement sur l’usage durable des pesticides… pourtant rejeté quelques mois plus tôt. “Le fait que cette cause majeure ne soit pas traitée enlève de la crédibilité aux dispositions et renvoyer vers un règlement qui vient d’être ajourné, ce n’est pas sérieux”, réagit Arnaud Gossement, pour qui l’abandon de l’objectif de réduire de 50 % l’usage des pesticides dans l’Union européenne d’ici 2030 contrebalance les réussites du texte sur la renaturation.

Pour améliorer la qualité écologique des milieux agricoles, le nouveau règlement impose simplement de renforcer trois critères : le stock de carbone organique dans le sol, la part des terres agricoles présentant des particularités topographiques à haute diversité et l’indice des papillons de prairies. “C’est un bon indicateur”, considère Arnaud Gossement, “mais on n’en est plus à la mise en place d’indicateurs, il faut aller plus loin”.

Les États devront ainsi seulement suivre les populations de papillons considérés comme caractéristiques des prairies européennes et faire attention aux haies, fossés, ruisseaux ou encore “murs de pierre, petits étangs et éléments culturels présents dans un contexte agricole qui fournissent des services écosystémiques et soutiennent la biodiversité”. Enfin, au moins 30 % des tourbières utilisées en tant que prairies ou terres cultivées devront être restaurées d’ici 2030, dont au moins un quart devra être remis en eau.

Mais au dernier moment, le législateur européen a ajouté une clause particulière pour autoriser la suspension de toutes ces dispositions en cas de “graves conséquences à l’échelle de l'Union sur la disponibilité des terres nécessaires pour assurer une production agricole suffisante”.

“On n’a aucune idée de ce que ça peut signifier”, réagit Arnaud Gossement. “Est-ce qu’on parle d’évènements de type guerre ou d’un effondrement de la biodiversité ?” Pour le spécialiste, le texte évite également un enjeu majeur qui pourrait devenir un véritable contentieux : celui de l’eau.

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