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La riposte des plantes

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La riposte des plantes
La Corneille
14/3/2024

Aux bords des champs et au-delà, les plantes paient un lourd tribu de l'exposition aux pesticides. Prisonniers de notre conception des "mauvaises herbes", nous avons tendance à trop vite les éliminer, oubliant que leur disparition peut nuire à nos activités.

Cet article fait partie de notre série "La riposte du vivant" qui explore les conséquences de l'utilisation de pesticides sur la biodiversité.

À cette occasion, dix scientifiques se font les messagers d’une espèce à travers une lettre imaginée en provenance du front.

Texte écrit par Bruno Chauvel, chercheur au département AgroEcoSystèmes de l'INRAE.

Ah “les mauvaises herbes”. Bêtes noires des jardiniers et agriculteurs, les faire disparaître se révèle souvent mission impossible.

Alors que l’efficacité globale des herbicides, censés les combattre, se réduit et que les conséquences de leur utilisation sur l’environnement s’intensifient, les ventes repartent à la hausse depuis 2018. “On a progressé sur toutes les catégories de produits phytosanitaires, sauf sur les herbicides”, tranche Bruno Chauvel, chercheur au département AgroEcoSystèmes de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE).

En réduisant ces plantes à de simples concurrentes pour les cultures, on perturbe les autres services qu’elles peuvent rendre. Du fait de leurs modes d’action, les herbicides conçus pour les détruire “apparaissent comme les substances les plus nocives pour la biomasse et la diversité des plantes supérieures mais aussi des lichens et des microalgues ou des cyanobactéries terrestres et aquatiques”, remarquait la méta-analyse conduite sur le sujet par l’INRAE et l’Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer).

Moins de “mauvaises herbes”, moins de services écosystémiques

Et oui, sans surprise les herbicides détruisent… des plantes. Comme leur nom l’indique, c’est bien pour cela qu’ils ont été inventés. Graminées, Astéracées, Apiacées… On a cherché un moyen pour détruire le maximum d’adventices - ces plantes considérées comme ravageurs - sans (trop) affecter les cultures. “Mais enlever ces plantes, provoque des effets en cascade”, rappelle Laure Mamy, directrice de recherche à l’INRAE. “Cela supprime des habitats ou des supports de nourriture pour tout un tas d’insectes ou d’oiseaux.” Les plantes désherbées ne produiront pas de semences. Ce qui signifie par exemple moins de ressources pour les oiseaux granivores.

Un enchaînement qui peut en retour nuire aux rendements. En éliminant les “mauvaises herbes”, la coccinelle perd par exemple son habitat et sera donc moins utile pour combattre les pucerons qui mangent les cultures.

Tout le défi des herbicides réside donc dans leur sélectivité. L’objectif ultime a été de trouver le produit qui puisse tuer toutes les espèces adventices, à l’exception de la culture souhaitée par l’agriculteur. Le glyphosate - l’herbicide le plus utilisé en France - est celui qui a le mieux réussi à s’en approcher. Problème, cette substance active est très efficace et “entraîne alors une réduction de la diversité végétale sur la parcelle”, indique Bruno Chauvel, en prenant l’exemple de l'Adonis, une plante des champs devenue très rare suite à son exposition au glyphosate et aux autres herbicides.

Des effets bien au-delà des champs

En plus des plantes cibles, les herbicides ont donc des effets en dehors des parcelles. “L’herbicide qui s’attaque à la photosynthèse des plantes ne sera pas directement toxique pour un oiseau par exemple, mais les effets secondaires sont mal connus”, indique Bruno Chauvel, rappelant que les molécules sont évaluées seules et ne prennent alors pas en compte les potentiels effets cocktails.

Avec le vent ou une rampe de pulvérisation qui déborde un peu trop, les plantes en bordure de parcelles ou dans les milieux voisins (forêts par exemple) sont les premières victimes. En France, les bandes florales ont ainsi quasiment disparu le long des cultures, ou changent de couleur après la pulvérisation de produits phytosanitaires.

Mais cela peut aller beaucoup plus loin. De quelques dizaines, à quelques centaines de mètres, les chercheurs s’interrogent encore sur la distance de dispersion des produits par le vent. C’est notamment pour cette raison que l’Agence de sécurité sanitaire (Anses) a émis de nouvelles recommandations pour l’utilisation du prosulfocarbe, la deuxième substance active herbicide la plus vendue en France en 2021. Une nouvelle évaluation des risques mettait en avant des pics de concentration trop importants dans l’air ambiant.

La pluie, les sols et l’eau font aussi de très bons véhicules pour les molécules. “L’énorme problème avec les herbicides, c’est qu’ils doivent être capables de voyager dans la sève. Ils sont donc solubles dans l’eau et vont obligatoirement se retrouver dans les cours d’eau. C’est leur destin”, illustre Bruno Chauvel. L’impact sur la biomasse se généralise alors à de nombreux écosystèmes.

Un système à bout de souffle

Au-delà des effets collatéraux, utiliser des herbicides, c’est un peu comme se tirer une balle dans le pied. La nature ayant horreur du vide, faire la guerre à certaines plantes, c’est ouvrir la voie à d’autres… parfois encore plus coriaces !

Les plantes sont aussi de plus en plus résistantes aux herbicides. Les coquelicots sont par exemple de retour le long des champs, souvent parce que les plantes ont réussi à créer des anticorps face à certaines molécules. “L’utilisation d’herbicides a très bien marché pendant presque huit décennies, mais est aujourd’hui arrivée au bout. Que ce soit d’un point de vue technique, de coût ou d’acceptation”, résume Bruno Chauvel.

Reste donc une question aussi vieille que l’agriculture : comment éviter que des plantes non voulues prennent l’énergie et les nutriments des cultures que l’on souhaite favoriser ? Et “une hypothèse forte, indique Bruno Chauvel : si on intensifie les solutions fondées sur la nature et si on arrête les herbicides, tout pourrait s’auto-réguler plus ou moins, le problème étant de savoir en combien de temps cet équilibre pourrait se mettre en place. Avant de changer les pratiques, il faudra changer les mentalités. “La mauvaise herbe n'est jamais qu'une plante mal aimée”, disait déjà la poétesse américaine Ella Wheeler Wilcox, au début du XXème siècle. Puisse d’abord cette conception se généraliser.

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