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La riposte des champignons

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La riposte des champignons
La Corneille
23/4/2024

Très utiles et peu visibles, les champignons paient pourtant un lourd tribut avec l'agriculture intensive. En plus des fongicides conçus pour les viser, ils souffrent de nombreuses conséquences liées à l'utilisation de pesticides. Illustration avec la Morille.

Cet article fait partie de notre série "La riposte du vivant" qui explore les conséquences de l'utilisation de pesticides sur la biodiversité.

À cette occasion, dix scientifiques se font les messagers d’une espèce à travers une lettre imaginée en provenance du front.

Texte écrit par Pierre-Arthur Moreau, enseignant-chercheur en mycologie à l'université de Lille

“Les pesticides, c’est la cerise sur le gâteau des impacts de l’agriculture intensive sur les sols”, illustre, Marc-André Selosse, biologiste spécialisé en mycologie. Après le labour, l’utilisation d’engrais chimiques, ou l’uniformisation des paysages, l’utilisation de produits phytosanitaires participe à affaiblir la diversité des champignons du sol, pourtant essentielle aux cultures.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, ces substances utilisées pour détruire les champignons parasites - les fongicides - ne seraient pas les principaux responsables de ce déclin. Les champignons non désirés sont en fait bien différents des autres. Les produits qui les visent n’ont donc que très peu d’effets sur les organismes bénéfiques aux plantes, que l’on nomme les mycorhizes.

Les champignons victimes de “balles perdues

Non, le problème, selon Marc-André Selosse, ce sont “les balles perdues”. “Les champignons sont les organismes les plus proches des animaux. Or, on sait que beaucoup de pesticides ciblent des animaux, donc ils peuvent aussi être dangereux pour les champignons”. Le glyphosate, un insecticide qui cible des plantes, est par exemple néfaste pour les mycorhiziens, car il affecte la survie des spores, soit les graines du champignon. Au final, la plante n’est plus aussi bien protégée et devient alors plus sensible aux pathogènes. Il faudra donc en retour lui appliquer des fongicides. “Un engrenage sans fin”, selon Marc-André Selosse.

Si les mycorhizes peuvent être affectées, “il y a de moins en moins de pesticides à large spectre”, nuance Christian Mougin, directeur de recherche à l’INRAE. “Avant, les produits utilisaient des molécules inhibitrices de la respiration qui pouvait agir chez tous les êtres vivants. Maintenant les produits sont plus ciblés.”

Des indicateurs encore “très rustiques”

Dans tous les cas, le moyen de le mesurer reste très limité. “Les indicateurs bactériens et fongiques s’avèrent très rustiques”, déplore Christian Mougin. D’autant qu’en matière de sol, les proportions s’emballent très vite. Dans un simple gramme, il y a plusieurs milliers d'espèces microbiennes. Quand on y met une molécule inconnue, il y a peut-être 1 % qui vont en pâtir, mais cela représente déjà des dizaines d'espèces qui peuvent disparaître.

Enfin, les champignons sont de plus en plus résistants aux produits utilisés. Plus on applique des fongicides, plus les cibles apprennent à se défendre, plus les industriels augmentent les doses. “On retrouve même maintenant des cas de résistances croisées”, ajoute Christian Mougin. “Sans que la molécule ait été en contact avec un organisme, celui-ci peut déjà être résistant grâce à une réponse immunitaire commune.”

Avec le développement de ces champignons résistants aux traitements antifongiques, la santé humaine se trouve aussi de plus en plus menacée. Profitant du réchauffement climatique et des protocoles de soins dégradés lors de la pandémie de Covid-19, de plus en plus d’épidémies dues à des champignons microscopiques émergent depuis plusieurs années. Un scénario repris dans la série The Last of Us, où un champignon transforme les humains en créatures cannibales. Une illustration des répercussions multiples et inattendues de l’utilisation de pesticide sur le vivant.

Autre illustration de cette surprenante résilience, les champignons sont utilisés pour résister aux pesticides et dépolluer les sols. Selon Marc-André Selosse, les champignons peuvent ainsi détruire jusqu’à 80 % des pesticides épandus en une année, grâce à leurs effets détoxifiants. Un service de nettoyage naturel dont on aurait bien du mal à se passer.

La riposte des champignons
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