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La riposte des mircoorganismes

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La riposte des mircoorganismes
La Corneille
18/4/2024

De l’infiniment petit au très grand, les pesticides bouleversent le rôle et l’action des microorganismes à de nombreuses échelles. Premières victimes, nos microbiotes et ceux des animaux.

Cet article fait partie de notre série "La riposte du vivant" qui explore les conséquences de l'utilisation de pesticides sur la biodiversité.

À cette occasion, dix scientifiques se font les messagers d’une espèce à travers une lettre imaginée en provenance du front.

Texte écrit par Hafida Khorsi-Cauet, chercheuse  et ses deux doctorants, Maria Abou Diwane et Sophian Tricotteaux–Zarquaoui, de l’Université de Picardie Jules Verne

La guerre entre le vivant et les molécules de synthèses issues des pesticides se joue aussi à l’échelle microscopique. Les conséquences de cet affrontement se font ressentir aux niveaux des microbiotes humains.

Bouches, poumons, vagins… Une diversité de microorganismes allant du virus aux champignons foisonnent à différents endroits de notre corps, le plus connu étant l’intestin.

En tant que principale interface entre notre corps et nos aliments, il se trouve particulièrement exposé aux résidus de pesticides. “Le premier organe en contact, c’est le tube digestif, quand on regarde à l’intérieur c’est l’écosystème des microbes. On leur fait du bien, ils nous font du bien”, explique Hafida Khorsi-Cauet, chercheuse en microbiologie à l’Université de Picardie Jules Verne (UPJV).

Le problème, c’est que les pesticides ont tendance à casser cet équilibre entre microbes, induisant une “dysbiose intestinale”. “Cela va impacter nos propres germes qui peuvent alors devenir potentiellement pathogènes et se retourner contre nous”, continue Hafida Khorsi-Cauet. “Ils pourront alors franchir la barrière intestinale et coloniser nos organes internes stériles : le foie, le rein, la rate…”

De minuscules organismes, de grandes pathologies

Obésité, diabète, dérèglement du système immunitaire, neurotoxicité, troubles de la reproduction et même tumeurs, les pathologies associées à cette “dysbiose intestinale” peuvent être variées et sont surtout repérées chez les agriculteurs. “Beaucoup présentent par exemple de l’infertilité, aussi bien chez l’homme que la femme”, précise Hafida Khorsi-Cauet. Mettant en avant le lien entre le cerveau et l’intestin, considéré comme un “deuxième cerveau”, des scientifiques associent dans certains cas la dépression avec un microbiote déséquilibré par les pesticides.

Cette altération de l’harmonie microbienne a même des conséquences sur les enfants avant leur naissance. Les travaux du laboratoire PériTox dont ceux d’Hafida Khorsi-Cauet s’intéressent aux femmes enceintes de Picardie, fortement exposées à différents pesticides, dont le Chlorpyrifos, un insecticide interdit depuis 2020. Dans les cheveux des mamans et dans les premières selles des nouveau-nés - pourtant censés être stériles - plusieurs résidus de pesticides ont été identifiés par les scientifiques, ce qui prouve que la molécule a pu traverser la barrière placentaire pour atteindre les fœtus. Et l’exposition a continué via l’allaitement, pendant une période où la “fenêtre de vulnérabilité” est la plus grande. À la clé, on retrouve des risques accrus de diverses pathologies lourdes pour toute la vie.

Des abeilles aux grenouilles, tous les microbiotes semblent touchés

Un mécanisme qui touche le vivant dans son ensemble, mais que l’on a encore du mal à évaluer. Des cas de déséquilibres entre microbes sont déjà décrits chez les oiseaux, mammifères ou amphibiens exposés au glyphosate ou trichlorfon.

Plusieurs études suggèrent même que les insecticides pourraient entraîner une altération des microbes intestinaux chez les abeilles, en réduisant la diversité de leur flore bactérienne. Chez les poissons zèbres, les scientifiques ont également découvert des “effets sexe”. Suite à l’exposition de certains pesticides, les individus donnaient naissance à davantage de femelles que de mâles, modifiant la morphologie habituelle des deux sexes, ce qui pouvait alors entraîner une réduction considérable du nombre de descendants. Si ces expériences majoritairement menées en laboratoires restent à confirmer sur le terrain, elles prouvent néanmoins que les conséquences de l’utilisation de pesticides se font sentir à de multiples niveaux, et de façon encore largement insoupçonnée.

La riposte des mircoorganismes
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